Je vous propose un petit défi avant de commencer : un jour, n’importe lequel, préparez-vous un petit bout de papier et un crayon qui vous serviront le lendemain. Le lendemain, glissez papier et crayon dans l’une de vos poches, et faites une petite marque à chaque fois que vous dites, ou que vous pensez : « je n’ai pas le temps.. », « je n’ai pas eu le temps … ». Il y a fort à parier que vous aurez fait au moins une marque, si ce n’est pas plutôt une dizaine à la fin de la journée ! Comment se fait-il que nous semblons tous souffrir d’un cruel manque de temps ? Existe-t-il un remède à ce mal ?
Le temps n’est pas
Lors d’un voyage en Chine, mon premier en Asie, j’ai réalisé que nous n’avions pas la même notion du temps dans notre Europe et là-bas de l’autre côté de la Terre : il m’a semblé que le temps de la culture bouddhiste était plutôt une durée, un espace qui nous est alloué temporairement, tandis que nous considérons le temps dans nos cultures occidentales comme une flèche qui a débuté il y a 13,5 milliards d’années avec le Big Bang et qui nous entraîne inlassablement vers le futur. Ce n’est sans doute pas très loin de ce que Kant, maître de la raison raisonnable soulignait : « Le temps n’est qu’une condition subjective de notre humaine condition et il n’est rien en dehors du sujet. » Ce qui défini le temps c’est nous-mêmes, uniquement nous : c’est notre perception qui fait passer le temps plus ou moins rapidement, c’est notre décision d’être pressés ou de prendre le temps.
Notre décision
Oui, je maintiens : c’est nous qui décidons d’être pressés, ce n’est pas le temps qui se rétrécit ! Le caractère pressant ou tranquille d’un événement vient de notre décision : même si cet événement est urgent et important, qu’est-ce qui nous pousse à en faire un moment pressant ? Prenons un exemple : vous êtes dans le métro pour aller prendre le TGV, vous avez pris une petite marge mais le métro fonctionne mal et la marge ne cesse de diminuer. Faisons une analyse de la situation : prendre le TGV est urgent et important ; vous n’avez pas le contrôle sur le métro mais vous avez le contrôle sur vos muscles et votre souffle. Plusieurs possibilités s’offrent à vous : décider de prendre un autre itinéraire [pour cela, il vous faut prendre la meilleure décision, et donc être dans des conditions non stressantes], ou poursuivre sur le même itinéraire [pour cela, vous pouvez soit dépenser toute votre énergie à rendre l’événement pressant et stressant, ou bien garder de l’énergie en évitant de stresser pour courir sur le quai de la gare attraper votre train] : dans tous les cas, être stressé ou angoissé ne peut que vous faire perdre de l’énergie et donc du temps. Il apparaît ainsi que le fait d’être pressé est une disposition de notre esprit, pas un fait en soi. C’est donc une bonne nouvelle, puisque nous pouvons donc décider de rendre les événements qui nous arrivent pressants ou non ! Ce sont nos réactions aux événements, pas les événements eux-mêmes qui nous donnent le sentiment de ne pas avoir le temps, ou d’avoir du temps.
En parvenant à maîtriser nos réactions aux événements, et notamment à ne pas réagir de façon stressée à l’accumulation d’événements ou de taches dans une to-do list ou un futur proche, on se sera soulagé d’une bonne part de charge mentale et d’énergie négative et inutile.
Nous sommes nos propres horlogers
Au-delà de maîtriser notre manière de réagir, nous pouvons aussi maîtriser le flux des événements qui nous arrivent et l’organiser de façon à ce qu’il soit optimal. Alors comment faire ?
- Dans un premier temps, il y a toute une catégorie d’événements qui n’ont pas grand-chose à faire dans notre emploi du temps : ceux sur lesquels nous n’avons pas d’influence. Prenez par exemple la misogynie de votre vieux collègue, ou les ongles beaucoup trop colorés de vernis de votre autre collègue : vous ne pouvez pas y faire grand-chose, alors autant tout simplement ne pas les prendre en compte dans le tas des choses que vous avez à faire.
- Ensuite, pour les autres événements sur lesquels vous pouvez agir, le conseil que je vous donnerai est celui d’allouer des créneaux temporels bien définis pour la réalisation de chacune des taches ou de chacun des événements. Notre manière de penser le monde comme la succession d’un passé, d’un présent et d’un futur, nous sommes toujours plus à l’aise lorsque nous connaissons la fin : en allouant un créneau spécifique bien défini à la réalisation, nous supprimons un aspect anxiogène qui souvent nous bloque, et nous augmentons notre efficacité (i.e. notre capacité à réaliser quelque chose dans un espace de temps restreint). Ce qui sous-entend que nous passons du temps à prévoir et planifier et que nous ne faisons qu’une seule chose à la fois…
Quand sur l’abîme un soleil se repose
Ouvrages purs d’une éternelle cause
Le temps scintille et le songe est savoir.
Paul Valéry, Le Cimetière marin
Dans cet extrait du Cimetière marin, on retrouve une belle notion : celle que lorsque l’on s’attarde à contempler ce que nous avons à faire, que nous le faisons de façon objective en supprimant l’affect qui peut y être lié, on voit soudain apparaître des fenêtres de liberté et, étonnamment, les contraintes temporelles inamovibles s’effacent ! A vrai dire, cela n’est pas si étonnant que cela.. Planifier, ou organiser est pour moi la solution optimale pour faire tout ce que j’ai envie et besoin de faire : cela me force dans un premier temps à faire le tri des choses que je ne peux pas faire parce qu’elles ne dépendent pas de moi, et ensuite en définissant l’ordre dans lequel je vais les faire, je n’ai plus qu’à suivre le fil. En organisant mes journées je me suis donnée la liberté de choisir quand faire les choses, et je me suis libérée du souci constant de me dire que j’avais aussi ça et ça à faire alors que j’étais en train d’essayer de faire autre chose : ayant fait mon plan, je savais que j’aurais le temps de faire les autres choses, ce qui me permet de rester concentrée sur ce que je suis en train de faire.
Ainsi, peut-être qu’il est vain de chercher à faire plus, la clef pour avoir du temps serait plutôt de faire moins (arrêter de chercher à faire des choses qui ne dépendent pas de nous), et mieux (organiser l’ordre dans lequel on fait et attribuer des créneaux fixes. On n’attend pas d’avoir le temps, on le prend, tout simplement.